Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/321

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme des comédiens dans une coulisse. Qui plus qu’eux est habitué à cette recherche du fond des choses, et, si l’on peut ainsi parler, à ces tâtements profonds et impies ? Voyez comme ils parlent de tout. Toujours les termes les plus crus, les plus grossiers, les plus abjects, ceux-là seulement leur paraissent vrais ; tout le reste n’est que parade, convention et préjugés. Qu’ils racontent une anecdote, qu’ils rendent compte de ce qu’ils ont éprouvé, toujours le mot sale et physique, toujours la lettre, toujours la mort. Ils ne disent pas : Cette femme m’a aimé ; ils disent : J’ai eu cette femme ; ils ne disent pas : J’aime ; ils disent : J’ai envie ; ils ne disent jamais : Dieu le veuille ! ils disent partout : Si je voulais ! Je ne sais ce qu’ils pensent d’eux-mêmes, et quels monologues ils font.

De là, inévitablement, ou la paresse ou la curiosité ; car, pendant qu’ils s’exercent ainsi à voir en tout ce qu’il y a de pire, ils n’en entendent pas moins les autres continuer de croire au bien. Il faut donc qu’ils soient nonchalants jusqu’à se boucher les oreilles, ou que ce bruit du reste du monde les vienne éveiller en sursaut. Le père laisse aller son fils où vont tant d’autres, où allait Caton lui-même ; il dit que jeunesse se passe. Mais, en rentrant, le fils regarde sa sœur ; et voyez ce qu’a produit en lui une heure passée en tête-à-tête avec la brute réalité ! il faut qu’il se dise : Ma sœur n’a rien de semblable à la créature que je quitte ; et de ce jour le voilà inquiet.