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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/322

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La curiosité du mal est une maladie infâme qui naît de tout contact impur. C’est l’instinct rôdeur des fantômes qui lève la pierre des tombeaux ; c’est une torture inexplicable dont Dieu punit ceux qui ont failli ; ils voudraient croire que tout peut faillir, et ils en seraient peut-être désolés. Mais ils s’enquêtent, ils cherchent, disputent ; ils penchent la tête de côté comme un architecte qui ajuste une équerre, et travaillent ainsi à voir ce qu’ils désirent. Du mal prouvé, ils en sourient ; du mal douteux, ils en jureraient ; le bien, ils veulent voir derrière. — Qui sait ? voilà la grande formule, le premier mot que Satan a dit, quand il a vu le ciel se fermer. Hélas ! combien de malheureux a faits cette seule parole ! combien de désastres et de morts ! combien de coups de faux terribles dans des moissons prêtes à pousser ! combien de cœurs, combien de familles où il n’y a plus que des ruines depuis que ce mot s’y est fait entendre ! Qui sait ? qui sait ? parole infâme ! Plutôt que de la prononcer, on devrait faire comme les moutons qui ne savent où est l’abattoir et qui y vont en broutant de l’herbe. Cela vaut mieux que d’être un esprit fort et de lire la Rochefoucauld.

Quel meilleur exemple en puis-je donner que ce que je raconte en ce moment ? Ma maîtresse voulait partir et je n’avais qu’à dire un mot. Je la voyais triste, et pourquoi restais-je ? qu’en serait-il arrivé si j’étais parti ? Ce n’eût été qu’un moment de crainte ; nous n’aurions pas voyagé trois jours que tout se serait oublié. Seul auprès