Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/338

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forcer à sourire ses lèvres contractées, et, se baissant sur le secrétaire : — Un instant, dit-elle, un instant encore ; j’ai quelques papiers à brûler. Elle me montra les lettres de N***, les déchira et les jeta au feu ; elle en prit d’autres, qu’elle relut et qu’elle étala sur la table. C’étaient des mémoires de ses marchands, et il y en avait dans le nombre qui n’étaient pas encore payés. Tout en les examinant, elle commença à parler avec volubilité, les joues ardentes comme dans la fièvre. Elle me demandait pardon de son silence obstiné et de sa conduite depuis notre arrivée. Elle me témoignait plus de tendresse, plus de confiance que jamais. Elle frappait des mains en riant et se promettait le plus charmant voyage ; enfin elle était tout amour, ou du moins tout semblant d’amour. Je ne puis dire combien je souffrais de cette joie factice ; il y avait, dans cette douleur qui se démentait ainsi elle-même, une tristesse plus affreuse que les larmes et plus amère que les reproches. Je l’eusse mieux aimée froide et indifférente que s’excitant ainsi pour se vaincre ; il me semblait voir une parodie de nos moments les plus heureux. C’étaient les mêmes paroles, la même femme, les mêmes caresses, et ce qui, quinze jours auparavant, m’enivrait d’amour et de bonheur, répété ainsi, me faisait horreur.

— Brigitte, lui dis-je tout à coup, quel mystère me cachez-vous donc ? Si vous m’aimez, quelle comédie horrible jouez-vous donc ainsi devant moi ?