Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le cœur est jeune ; il n’y a chêne si noueux et si dur dont il ne sorte une dryade ; et, si on avait cent bras, on ne craindrait pas de les ouvrir dans le vide ; on n’a qu’à y serrer sa maîtresse, et le vide est rempli.

Quant à moi, je ne concevais pas qu’on fît autre chose que d’aimer ; et lorsqu’on me parlait d’une autre occupation, je ne répondais pas. Ma passion pour ma maîtresse avait été comme sauvage, et toute ma vie en ressentait je ne sais quoi de monacal et de farouche. Je n’en veux citer qu’un exemple. Elle m’avait donné son portrait en miniature dans un médaillon ; je le portais sur le cœur, chose que font bien des hommes ; mais, ayant trouvé un jour chez un marchand de curiosités une discipline de fer, au bout de laquelle était une plaque hérissée de pointes, j’avais fait attacher le médaillon sur la plaque et le portais ainsi. Ces clous, qui m’entraient dans la poitrine à chaque mouvement, me causaient une volupté si étrange, que j’y appuyais quelquefois ma main pour les sentir plus profondément. Je sais bien que c’est de la folie ; l’amour en fait bien d’autres.

Depuis que cette femme m’avait trahi, j’avais ôté le cruel médaillon. Je ne puis dire avec quelle tristesse j’en détachai la ceinture de fer, et quel soupir poussa mon cœur lorsqu’il s’en trouva délivré ! — Ah ! pauvres cicatrices, me dis-je, vous allez donc vous effacer ? Ah ! ma blessure, ma chère blessure, quel baume vais-je poser sur toi ?