Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/49

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J’avais beau haïr cette femme, elle était, pour ainsi dire, dans le sang de mes veines ; je la maudissais, mais j’en rêvais. Que faire à cela ? que faire à un rêve ? quelle raison donner à des souvenirs de chair et de sang ? Macbeth, ayant tué Duncan, dit que l’Océan ne laverait pas ses mains ; il n’aurait pas lavé mes cicatrices. Je le disais à Desgenais : — Que voulez-vous ! dès que je m’endors, sa tête est là sur l’oreiller.

Je n’avais vécu que par cette femme ; douter d’elle, c’était douter de tout ; la maudire, tout renier ; la perdre, tout détruire. Je ne sortais plus ; le monde m’apparaissait comme peuplé de monstres, de bêtes fauves et de crocodiles. À tout ce qu’on me disait pour me distraire, je répondais : Oui, c’est bien dit, et soyez certain que je n’en ferai rien.

Je me mettais à la fenêtre et je me disais : — Elle va venir, j’en suis sûr ; elle vient ; elle tourne la rue ; je la sens qui approche. Elle ne peut vivre sans moi, pas plus que moi sans elle. Que lui dirai-je ? quel visage ferai-je ? Là-dessus, ses perfidies me revenaient. Ah ! qu’elle ne vienne pas ! m’écriais-je ; qu’elle n’approche pas ! Je suis capable de la tuer.

Depuis ma dernière lettre, je n’en entendais plus parler. — Enfin, que fait-elle ? me disais-je. Elle en aime un autre ? Aimons-en donc une autre aussi. Qui aimer ? Et, tout en cherchant, j’entendais comme une voix lointaine qui me criait : Toi, une autre que moi ! Deux êtres qui s’aiment, qui s’embrassent, et qui ne