tête à tête avec ce rustre qui ne se doutait pas de ma présence, et qui se reposait sur cette pierre plus délicieusement peut-être que dans son lit.
Malgré moi, cet homme fit diversion à ma douleur ; je me levai pour lui céder la place ; puis je revins et me rassis. Je ne pouvais quitter cette porte, où je n’aurais pas frappé pour un empire ; enfin, après m’être promené dans tous les sens, je m’arrêtai machinalement devant le dormeur.
— Quel sommeil ! me disais-je ; cet homme ne fait aucun rêve assurément ; sa femme, à l’heure qu’il est, ouvre peut-être à son voisin la porte du grenier où il couche. Ses habits sont en haillons ; ses joues sont creuses, ses mains ridées ; c’est quelque malheureux qui n’a pas de pain tous les jours. Mille soucis dévorants, mille angoisses mortelles l’attendent à son réveil ; cependant il avait ce soir un écu dans sa poche ; il est entré dans un cabaret où on lui a vendu l’oubli de ses maux ; il a gagné dans sa semaine de quoi avoir une nuit de sommeil ; il l’a prise peut-être sur le souper de ses enfants. Maintenant sa maîtresse peut le trahir, son ami peut se glisser comme un voleur dans son taudis ; moi-même, je peux lui frapper sur l’épaule et lui crier qu’on l’assassine, que sa maison est en feu ; il se retournera sur l’autre flanc et se rendormira.
Et moi, et moi, continuai-je en traversant à grands pas la rue, je ne dors pas, moi qui ai dans ma poche ce soir de quoi le faire dormir un an ; je suis si fier et si