Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/120

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Parnes se rendormit ; le jeune homme avança sur la pointe du pied, et, le cœur palpitant, respirant à peine, il parvint, comme Robert le Diable, jusqu’à Isabelle assoupie.

Ce n’est pas en pareille circonstance qu’on réfléchit ordinairement. Jamais madame de Parnes n’avait été si belle ; ses lèvres entr’ouvertes semblaient plus vermeilles ; un plus vif incarnat colorait ses joues ; sa respiration, égale et paisible, soulevait doucement son sein d’albâtre, couvert d’une blonde légère. L’ange de la nuit ne sortit pas plus beau d’un bloc de marbre de Carrare, sous le ciseau de Michel-Ange. Certes, même en s’offensant, une telle femme surprise ainsi doit pardonner le désir qu’elle inspire. Un léger mouvement de la marquise arrêta cependant Valentin. Dormait-elle ? Cet étrange doute le troublait malgré lui. — Et qu’importe ? se dit-il ; est-ce donc un piège ? Quel travers et quelle folie ! pourquoi l’amour perdrait-il de son prix en s’apercevant qu’il est partagé ? Quoi de plus permis, de plus vrai, qu’un demi-mensonge qui se laisse deviner ? Quoi de plus beau qu’elle si elle dort ? quoi de plus charmant si elle ne dort pas ?

Tout en se parlant ainsi, il restait immobile, et ne pouvait s’empêcher de chercher un moyen de savoir la vérité. Dominé par cette pensée, il prit un petit morceau de sucre qui restait encore de son repas, et, se cachant derrière la marquise, il le lui jeta sur la main ; elle ne remua pas. Il poussa une chaise, doucement d’abord,