Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/132

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mensonge. Avez-vous jamais pensé à ce que ce peut être que de haïr ceux qu’on a aimés ? Concevez-vous rien de pis ? Réfléchissez à cela, je vous en conjure. Ceux qui trouvent plaisir à tromper les autres en tirent ordinairement vanité ; ils s’imaginent avoir par là quelque supériorité sur leurs dupes : elle est bien fugitive, et à quoi mène-t-elle ? rien n’est si aisé que le mal. Un homme de votre âge peut tromper sa maîtresse, seulement pour passer le temps ; mais le temps s’écoule en effet, la vérité vient, et que reste-t-il ? Une pauvre créature abusée s’est crue aimée, heureuse ; elle a fait de vous son bien unique : pensez à ce qui lui arrive s’il faut qu’elle ait horreur de vous !

La simplicité de ce langage avait ému Valentin jusqu’au fond du cœur.

— Je vous aime, lui dit-il, n’en doutez pas, je n’aime que vous seule.

— J’ai besoin de le croire, répondit la veuve, et, si vous dites vrai, nous ne reparlerons jamais de ce que j’ai souffert aujourd’hui. Permettez-moi pourtant d’ajouter encore un mot qu’il faut absolument que je vous dise. J’ai vu mon père, à l’âge de soixante ans, apprendre tout à coup qu’un ami d’enfance l’avait trompé dans une affaire de commerce. Une lettre avait été trouvée, dans laquelle cet ami racontait lui-même sa perfidie, et se vantait de la triste habileté qui lui avait rapporté quelques billets de banque à notre détriment. J’ai vu mon père, abîmé de douleur et stupéfait, la tête