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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/179

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rait pas arrivé un tel malheur. Que n’ai-je appris seulement qu’il l’aimait à ce point ! Que n’ai-je été témoin de sa douleur ! Qui sait ? je serais peut-être parti ; je l’aurais peut-être convaincu, guéri, ramené à la raison par des paroles franches et amicales. Dans tous les cas, il vivrait encore, et j’aimerais mieux qu’il m’eût cassé le bras que de penser qu’en se donnant la mort il a peut-être prononcé mon nom !

Au milieu de ces tristes réflexions arriva une lettre de Bernerette ; elle était malade et gardait le lit. Dans la dernière scène avec elle, M. de N*** l’avait frappée, et elle avait fait une chute dangereuse. Frédéric sortit pour aller la voir, mais il n’en eut pas le courage. En la gardant pour maîtresse, il lui semblait commettre un meurtre. Il se décida à partir ; après avoir mis ordre à ses affaires, il envoya à la pauvre fille ce dont il put disposer, lui promit de ne pas l’abandonner si elle tombait dans la misère : puis il retourna à Besançon.

Son arrivée fut, comme on peut penser, un jour de fête pour sa famille. On le félicita sur son nouveau titre, on l’accabla de questions sur son séjour à Paris ; son père le conduisit avec orgueil chez toutes les personnes de distinction de la ville. Bientôt on lui fit part d’un projet conçu pendant son absence : on avait pensé à le marier, et on lui proposa la main d’une jeune et jolie personne dont la fortune était honorable. Il ne refusa ni n’accepta ; il avait dans l’âme une tristesse que rien ne pouvait surmonter. Il se laissa mener partout où