Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/190

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boulevard avant de rentrer chez lui. Comme il passait au coin de la rue de la Paix pour s’en revenir dans les Tuileries, une femme qui donnait le bras à un jeune homme se mit à rire en le voyant : c’était Bernerette. Il s’arrêta et la suivit des yeux ; de son côté, elle tourna plusieurs fois la tête ; il changea de route sans trop savoir pourquoi et s’en fut au Café de Paris.

Il s’y était promené une heure, et il montait pour aller dîner, quand Bernerette passa de nouveau. Elle était seule ; il l’aborda et lui demanda si elle voulait venir dîner avec lui. Elle accepta et prit son bras, mais elle le pria de la mener chez un traiteur moins en évidence.

— Allons au cabaret, dit-elle gaiement ; je n’aime pas à dîner dans la rue.

Ils montèrent en fiacre, et, comme autrefois, ils s’étaient donné mille baisers avant de se demander de leurs nouvelles.

Le tête à tête fut joyeux, et les tristes souvenirs en furent bannis. Bernerette se plaignit cependant que Frédéric ne fût pas venu la voir ; mais il se contenta de lui répondre qu’elle devait bien savoir pourquoi. Elle lut aussitôt dans les yeux de son amant, et comprit qu’il fallait se taire. Assis près d’un bon feu, comme au premier jour, ils ne songèrent qu’à jouir en liberté de l’heureuse rencontre qu’ils devaient au hasard. Le vin de Champagne anima leur gaieté, et avec lui vinrent les tendres propos qu’inspire cette liqueur de poète, dédai-