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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/198

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vant elle. Au-dessous du plateau s’étendait une vallée où le vent agitait sourdement une mer de sombre verdure ; le regard n’y distinguait rien, et à six lieues de Paris on aurait pu se croire devant un ravin de la Forêt-Noire. Tout à coup l’astre sortit de l’horizon ; un immense rayon de lumière glissa sur la cime des bois et s’empara de l’espace en un instant ; les hautes futaies, les coupes de châtaigniers, les clairières, les routes, les collines se dessinèrent au loin comme par enchantement. Les promeneurs se regardèrent, étonnés et joyeux de se voir.

— Allons, Bernerette, s’écria Frédéric, une chanson !

— Triste ou gaie ? demanda-t-elle.

— Comme tu voudras. Une chanson de chasse ! l’écho y répondra peut-être.

Bernerette rejeta son voile en arrière et entonna le refrain d’une fanfare ; mais elle s’arrêta tout à coup. La brillante étoile de Vénus, qui scintillait sur la montagne, avait frappé ses yeux ; et, comme sous le charme d’une pensée plus tendre, elle chanta sur un air allemand les vers suivants, qu’un passage d’Ossian avait inspirés à Frédéric :

Pâle étoile du soir, messagère lointaine,
Dont le front sort brillant des voiles du couchant,
De ton palais d’azur, au sein du firmament,
Que regardes-tu dans la plaine ?
La tempête s’éloigne et les vents sont calmés.
La forêt qui frémit pleure sur la bruyère.