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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/201

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en parlant ainsi. Bernerette garda le silence et alla s’appuyer contre la croisée ; elle pleurait et s’efforçait de cacher ses larmes ; Frédéric s’en aperçut et s’approcha d’elle.

— Laissez-moi, lui dit-elle. Vous ne daigneriez pas être jaloux de moi, je le conçois, et j’en souffre sans me plaindre ; mais vous me parlez trop durement, mon ami ; vous me traitez tout à fait comme une fille, et vous me désolez sans raison.

Il avait été décidé qu’on passerait la nuit à l’auberge, et qu’on reviendrait à Paris le lendemain. Bernerette ôta le mouchoir qui entourait son cou, et, tout en s’essuyant les yeux, elle le noua autour de la tête de son amant. S’appuyant ensuite sur son épaule, elle l’attira doucement vers l’alcôve.

— Ah, méchant ! lui dit-elle en l’embrassant, il n’y a donc pas moyen que tu m’aimes ?

Frédéric la serra dans ses bras. Il songea à quoi il s’exposait en cédant à un mouvement d’attendrissement ; plus il était tenté de s’y livrer, plus il se défiait de lui-même. Il était prêt à dire qu’il aimait : cette dangereuse parole expira sur ses lèvres ; mais Bernerette la sentit dans son cœur, et ils s’endormirent tous deux contents, l’un de ne pas l’avoir prononcée, et l’autre de l’avoir comprise.