Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/21

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et obligé d’en soutenir le rôle. En allant dîner, il voulut savoir jusqu’à quel point il avait ébloui, et serra la main de madame de Marsan. Elle frissonna de la tête aux pieds, tant l’impression lui fut nouvelle ; il n’en fallait pas tant pour rendre un fat ivre d’orgueil.

Il fut décidé par la tante, un mois durant, que M. de Sorgues était l’adorateur ; c’était un sujet intarissable d’antiques fadaises et de mots à double entente qu’Emmeline supportait avec peine, mais auxquels son bon naturel la forçait de se plier. Dire par quels motifs la vieille marquise trouvait l’adorateur aimable, par quels autres motifs il lui plaisait moins, c’est malheureusement ou heureusement une chose impossible à écrire et impossible à deviner. Mais on peut aisément supposer l’effet que produisaient sur Emmeline de pareilles idées, accompagnées, bien entendu, d’exemples tirés de l’histoire moderne, et de tous les principes des gens bien élevés qui font l’amour comme des maîtres de danse. Je crois que c’est dans un livre aussi dangereux que les liaisons dont parle son titre, que se trouve une remarque dont on ne connaît pas assez la profondeur : « Rien ne corrompt plus vite une jeune femme, y est-il dit, que de croire corrompus ceux qu’elle doit respecter. » Les propos de madame d’Ennery éveillaient dans l’âme de sa nièce un sentiment d’une autre nature. — Qui suis-je donc, se disait-elle, si le monde est ainsi ? La pensée de son mari absent la tourmentait ; elle aurait voulu le trouver près d’elle lorsqu’elle rêvait au coin du feu ;