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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/214

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leurs lui plaisait. D’une part, elle voulait faire preuve d’un grand cœur et se donner pour romanesque ; d’un autre côté, elle témoignait par là que, loin de trouver mauvais que Frédéric l’eût oubliée, elle approuvait sa passion. Le pauvre garçon, pour la seconde fois, fut la dupe de ce manège féminin, et se laissa persuader par un enfant de dix-sept ans. — Vous avez raison, lui répondait-il ; après tout, la vie est si courte, et le bonheur est si rare ici-bas, qu’on est bien insensé de réfléchir et de s’attirer des chagrins volontaires, lorsqu’il y en a tant d’inévitables. Mademoiselle Darcy changeait alors de thème. — Votre Bernerette vous aime-t-elle ? demandait-elle d’un air de mépris. Ne me disiez-vous pas que c’est une grisette ? et quel compte peut-on faire de ces sortes de femmes ? Serait-elle digne de quelques sacrifices ? en sentirait-elle le prix ? — Je n’en sais rien, répliquait Frédéric, et je n’ai pas moi-même grand amour pour elle, ajoutait-il d’un ton léger ; je n’ai jamais songé, auprès d’elle, qu’à passer le temps agréablement. Je m’ennuie maintenant, voilà tout le mal. — Fi donc ! s’écriait mademoiselle Darcy ; qu’est-ce que c’est qu’une passion pareille !

Lancée sur ce sujet, la jeune personne s’exaltait ; elle en parlait comme s’il se fût agi d’elle-même, et son active imagination y trouvait de quoi s’exercer. — Est-ce donc aimer, disait-elle, que de chercher à passer le temps ? Si vous n’aimiez pas cette femme, qu’alliez-vous faire chez elle ? Si vous l’aimiez, pourquoi l’aban-