Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/213

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tout jamais cette fois. Quand on n’est ni gai ni heureux, de telles offres sont toujours bienvenues ; le jeune homme la remercia donc et trouva quelque charme à passer de temps en temps ses soirées auprès d’elle.

Un certain besoin d’émotion pousse quelquefois les gens blasés à la recherche de l’extraordinaire. Il peut sembler surprenant qu’une femme aussi jeune que l’était mademoiselle Darcy eût ce bizarre et dangereux caractère ; il est cependant vrai qu’elle était ainsi. Il ne lui fut pas difficile d’obtenir la confiance de Frédéric et de lui faire raconter ses amours. Elle aurait peut-être pu le consoler, en se montrant seulement coquette auprès de lui, elle l’eût du moins distrait de ses peines ; mais il lui plut de faire le contraire. Au lieu de le blâmer de ses désordres, elle lui dit que l’amour excusait tout et que ses folies lui faisaient honneur ; au lieu de le confirmer dans sa résolution, elle lui répéta qu’elle ne concevait pas qu’il l’eût prise : Si j’étais homme, disait-elle, et si j’avais autant de liberté que vous, rien au monde ne pourrait me séparer de la femme que j’aimerais ; je m’exposerais de bon gré à tous les malheurs, à la misère, s’il le fallait, plutôt que de renoncer à ma maîtresse.

Un pareil langage était bien étrange dans la bouche d’une jeune personne qui ne connaissait de ce monde que l’intérieur de sa famille. Mais, par cette raison même, ce langage était plus frappant. Mademoiselle Darcy avait deux motifs pour jouer ce rôle, qui d’ail-