Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/229

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Deux événements inattendus changèrent tout à coup les choses. Frédéric était seul, un soir, dans sa chambre ; il vit entrer Bernerette. Elle était pâle, les cheveux en désordre ; une fièvre ardente faisait briller ses yeux d’un éclat effrayant ; contre l’ordinaire, sa parole était brève, impérieuse. Elle venait, disait-elle, sommer Frédéric de s’expliquer.

— Vous voulez me tuer ? lui demanda-t-elle. M’aimez-vous ou ne m’aimez-vous pas ? Êtes-vous un enfant ? Avez-vous besoin des autres pour agir ? Êtes-vous fou de consulter votre père pour savoir s’il faut garder votre maîtresse ? Qu’est-ce que ces gens-là désirent ? Nous séparer. Si vous le voulez comme eux, vous n’avez que faire de leur avis, et si vous ne le voulez pas, encore moins. Voulez-vous partir ? Emmenez-moi. Je n’apprendrai jamais un métier ; je ne veux pas rentrer au théâtre. Comment le pourrais-je, faite comme je suis ? je souffre trop pour attendre ; décidez-vous.

Elle parla sur ce ton pendant près d’une heure, interrompant Frédéric dès qu’il voulait répondre. Il tenta en vain de l’apaiser. Une exaltation aussi violente ne pouvait céder à aucun raisonnement. Enfin, épuisée de fatigue, Bernerette fondit en larmes. Le jeune homme la serra dans ses bras ; il ne pouvait résister à tant d’amour. Il porta sa maîtresse sur son lit.

— Reste là, lui dit-il, et que le ciel m’écrase si je t’en laisse arracher ! Je ne veux plus rien entendre, rien voir, si ce n’est toi. Tu me reproches ma lâcheté, et tu