Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/230

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as raison ; mais j’agirai, tu le verras. Si mon père me repousse, tu me suivras ; puisque Dieu m’a fait pauvre, nous vivrons pauvrement. Je ne me soucie ni de mon nom, ni de ma famille, ni de l’avenir.

Ces mots, prononcés avec toute l’ardeur de la conviction, consolèrent Bernerette. Elle pria son ami de la reconduire chez elle à pied ; malgré sa lassitude, elle voulait prendre l’air. Ils convinrent, pendant la route, du plan qu’ils avaient à suivre. Frédéric feindrait de se soumettre aux désirs de son père ; mais il lui représenterait qu’avec peu de fortune il n’est pas possible de se hasarder dans la carrière diplomatique. Il demanderait donc à achever son stage ; M. Hombert céderait vraisemblablement, à la condition que son fils oublierait ses folles amours. Bernerette, de son côté, changerait de quartier ; on la croirait partie. Elle louerait une petite chambre dans la rue de la Harpe, ou aux environs ; là, elle vivrait avec tant d’économie, que la pension de Frédéric suffirait pour tous deux. Dès que son père serait retourné à Besançon, il viendrait la rejoindre et demeurer avec elle. Pour le reste, Dieu y pourvoirait. Tel fut le projet auquel les pauvres amants s’arrêtèrent, et dont ils crurent le succès infaillible, comme il arrive toujours en pareil cas.

Deux jours après, Frédéric, après une nuit sans sommeil, se rendit chez son amie dès six heures du matin. Un entretien qu’il avait eu avec son père le troublait ; on exigeait qu’il partît pour Berne ; il venait