Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/234

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mât aussi, du moins en apparence. En révoltant les cœurs faibles, on met leur existence en question ; il faut qu’ils se brisent ou qu’ils oublient, car ils n’ont pas la force d’être fidèles à un souvenir dont ils souffrent. Frédéric s’habitua donc de jour en jour à ne plus vivre que pour Fanny ; il fut bientôt question de mariage. Le jeune homme n’avait pas grande fortune, mais sa position était faite, ses protections puissantes ; l’amour, qui lève tout obstacle, plaidait pour lui ; il fut décidé qu’on demanderait une faveur à la cour de France, et que Frédéric, nommé second secrétaire, deviendrait l’époux de Fanny.

Cet heureux jour arriva enfin ; les nouveaux mariés venaient de se lever, et Frédéric, dans l’ivresse du bonheur, tenait sa femme entre ses bras. Il était assis près de la cheminée ; un pétillement du feu et un jet de flamme le firent tressaillir. Par un bizarre effet de la mémoire, il se souvint tout à coup du jour où pour la première fois il s’était trouvé ainsi, avec Bernerette, près de la cheminée d’une petite chambre. Je laisse à commenter ce hasard étrange à ceux dont l’imagination se plaît à admettre que l’homme pressent la destinée. Ce fut en ce moment qu’on remit à Frédéric une lettre timbrée de Paris, qui lui annonçait la mort de Bernerette. Je n’ai pas besoin de peindre son étonnement et sa douleur ; je dois me contenter de mettre sous les yeux du lecteur l’adieu de la pauvre fille à son ami ; on y trouvera l’explication de sa conduite en quelques