Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/272

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

se trouvait pas marié, qui ne voudrait le faire tous les soirs ?

Pippo ne regrettait pas de ne point avoir adressé de questions à la négresse ; car une servante, en pareil cas, ne peut manquer de faire l’éloge de sa maîtresse, fût-elle plus laide qu’un péché mortel ; et les deux mots échappés à la signora Dorothée suffisaient. Il eût voulu seulement savoir si sa dame inconnue était brune ou blonde. Pour se faire une idée d’une femme, lorsqu’on sait qu’elle est belle, rien n’est plus important que de connaître la nuance de ses cheveux. Pippo hésita longtemps entre les deux couleurs, enfin il s’imagina qu’elle avait les cheveux châtains, afin de mettre son esprit en repos.

Mais il ne sut alors comment décider de quelle couleur étaient ses yeux ; il les aurait supposés noirs si elle eût été brune, et bleus si elle eût été blonde. Il se figura qu’ils étaient bleus, non pas de ce bleu clair et indécis qui est tour à tour gris ou verdâtre, mais de cet azur pur comme le ciel, qui, dans les moments de passion, prend une teinte plus foncée, et devient sombre comme l’aile du corbeau.

À peine ces yeux charmants lui eurent-ils apparu, avec un regard tendre et profond, que son imagination les entoura d’un front blanc comme la neige, et de deux joues roses comme les rayons du soleil sur le sommet des Alpes. Entre ces deux joues, aussi douces qu’une pêche, il crut voir un nez effilé comme celui du