Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/271

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contracter. Il pouvait se livrer aux charmes de l’attente et de la surprise, sans en redouter les inconvénients, et cette considération lui semblait suffire pour le dédommager de ce qui pourrait d’ailleurs lui manquer. Il se figura donc que cette nuit était réellement celle de ses noces, et il n’est pas étonnant qu’à son âge cette pensée lui causât des transports de joie.

La première nuit des noces doit être, en effet, pour une imagination active, un des plus grands bonheurs possibles, car il n’est précédé d’aucune peine. Les philosophes veulent, il est vrai, que la peine donne plus de saveur au plaisir qu’elle accompagne, mais Pippo pensait qu’une méchante sauce ne rend pas le poisson plus frais. Il aimait donc les jouissances faciles, mais il ne les voulait pas grossières, et, malheureusement, c’est une loi presque invariable que les plaisirs exquis se payent chèrement. Or la nuit des noces fait exception à cette règle ; c’est une circonstance unique dans la vie, qui satisfait à la fois les deux penchants les plus chers à l’homme, la paresse et la convoitise ; elle amène dans la chambre d’un jeune homme une femme couronnée de fleurs, qui ignore l’amour, et dont une mère s’est efforcée, depuis quinze ans, d’ennoblir l’âme et d’orner l’esprit : pour obtenir un regard de cette belle créature, il faudrait peut-être la supplier pendant une année entière ; cependant, pour posséder ce trésor, l’époux n’a qu’à ouvrir les bras ; la mère s’éloigne ; Dieu lui-même le permet. Si, en s’éveillant d’un si beau rêve, on ne