Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/278

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— Vous m’avez envoyé hier, lui dit-il, un baiser sur une rose ; sur une fleur plus belle et plus fraîche, laissez-moi vous rendre ce que j’ai reçu.

En parlant ainsi, il l’embrassa sur les lèvres. Elle ne fit point d’effort pour l’en empêcher ; mais ses regards, qui erraient au hasard, se fixèrent tout à coup sur Pippo. Elle le repoussa doucement et lui dit en secouant la tête avec une tristesse pleine de grâce :

— Vous ne m’aimerez pas, vous n’aurez pour moi qu’un caprice ; mais je vous aime, et je veux d’abord me mettre à genoux devant vous.

Elle s’inclina en effet ; Pippo la retint vainement, en la suppliant de se lever. Elle glissa entre ses bras, et s’agenouilla sur le parquet.

Il n’est pas ordinaire ni même agréable de voir une femme prendre cette humble posture. Bien que ce soit une marque d’amour, elle semble appartenir exclusivement à l’homme ; c’est une attitude pénible qu’on ne peut voir sans trouble, et qui a quelquefois arraché à des juges le pardon d’un coupable. Pippo contempla avec une surprise croissante le spectacle admirable qui s’offrait à lui. S’il avait été saisi de respect en reconnaissant Béatrice, que devait-il éprouver en la voyant à ses pieds ? La veuve de Donato, la fille des Lorédans, était à genoux. Sa robe de velours, semée de fleurs d’argent, couvrait les dalles ; son voile, ses cheveux déroulés, pendaient à terre. De ce beau cadre sortaient ses blanches épaules et ses mains jointes, tandis que ses