Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tière, caressant en secret cette idée, rencontrant Pippo de temps en temps, regardant ses fenêtres quand elle passait sur le quai. Un caprice l’avait entraînée ; elle n’avait pu résister à la tentation de broder une bourse et de l’envoyer. Elle s’était promis, il est vrai, de ne pas aller plus loin et de ne jamais tenter davantage. Mais quand la signora Dorothée lui avait montré les vers que Pippo avait faits pour elle, elle avait versé des larmes de joie. Elle n’ignorait pas quel risque elle courait en essayant de réaliser son rêve ; mais c’était un rêve de femme, et elle s’était dit en sortant de chez elle : Ce que femme veut, Dieu le veut.

Conduite et soutenue par cette pensée, par son amour et par sa franchise, elle se sentait à l’abri de la crainte. En s’agenouillant devant Pippo, elle venait de faire sa première prière à l’Amour ; mais, après le sacrifice de sa fierté, le dieu impatient lui en demandait un autre. Elle n’hésita pas plus à devenir la maîtresse du Tizianello que si elle eût été sa femme. Elle ôta son voile, et le posa sur une statue de Vénus qui se trouvait dans la chambre ; puis, aussi belle et aussi pâle que la déesse de marbre, elle s’abandonna au destin.

Elle passa la journée chez Pippo, comme il avait été convenu. Au coucher du soleil, la gondole qui l’avait amenée vint la chercher. Elle sortit aussi secrètement qu’elle était entrée. Les domestiques avaient été écartés sous différents prétextes ; le portier seul restait dans la maison. Habitué à la manière de vivre de son maître,