Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/284

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Samos dans un cabaret du Lido. Ses amis ne le voyaient plus ; il avait rompu toutes ses habitudes, et ne s’inquiétait ni du temps, ni de l’heure, ni de ses actions ; il s’enivrait en un mot du profond oubli de toutes choses que les premiers baisers d’une belle femme laissent toujours après eux ; et peut-on dire d’un homme, en pareil cas, s’il est sage ou fou ?

Pour me servir d’un mot qui dit tout, Pippo et Béatrice étaient faits l’un pour l’autre ; ils s’en étaient aperçus dès le premier jour, mais encore fallait-il le temps de s’en convaincre, et, pour cela, ce n’était pas trop d’un mois. Un mois se passa donc sans qu’il fût question de peinture. En revanche, il était beaucoup question d’amour, de musique sur l’eau et de promenades hors de la ville. Les grandes dames aiment quelquefois mieux une secrète partie de plaisir dans une auberge des faubourgs qu’un petit souper dans un boudoir. Béatrice était de cet avis, et elle préférait aux dîners mêmes du doge un poisson frais mangé en tête-à-tête avec Pippo sous les tonnelles de la Quintavalle. Après le repas, ils montaient en gondole, et s’en allaient voguer autour de l’île des Arméniens : c’est là, entre la ville et le Lido, entre le ciel et la mer, que je conseille au lecteur d’aller, par un beau clair de lune, faire l’amour à la vénitienne.

Au bout d’un mois, un jour que Béatrice était venue secrètement chez Pippo, elle le trouva plus joyeux que de coutume. Lorsqu’elle entra, il venait de déjeuner