Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/285

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et se promenait en chantant ; le soleil éclairait sa chambre et faisait reluire sur sa table une écuelle d’argent pleine de sequins. Il avait joué la veille, et gagné quinze cents piastres à ser Vespasiano. De cette somme il avait acheté un éventail chinois, des gants parfumés et une chaîne d’or faite à Venise et admirablement travaillée ; il avait mis le tout dans un coffret de bois de cèdre incrusté de nacre, qu’il offrit à Béatrice.

Elle reçut d’abord ce cadeau avec joie ; mais bientôt après, lorsqu’elle eut appris qu’il provenait d’argent gagné au jeu, elle ne voulut plus l’accepter. Au lieu de se joindre à la gaieté de Pippo, elle tomba dans la rêverie. Peut-être pensait-elle qu’il avait déjà moins d’amour pour elle, puisqu’il était retourné à ses anciens plaisirs. Quoi qu’il en fût, elle vit que le moment était venu de parler et d’essayer de le faire renoncer aux désordres dans lesquels il allait retomber.

Ce n’était pas une entreprise facile. Depuis un mois, elle avait déjà pu connaître le caractère de Pippo. Il était, il est vrai, d’une nonchalance extrême pour ce qui regarde les choses ordinaires de la vie, et il pratiquait le far-niente avec délices ; mais, pour les choses plus importantes, il n’était pas aisé de le maîtriser, à cause de cette indolence même ; car, dès qu’on voulait prendre de l’empire sur lui, au lieu de lutter et de disputer, il laissait dire les gens et n’en faisait pas moins à sa guise. Pour arriver à ses fins, Béatrice prit un détour et lui demanda s’il voulait faire son portrait.