Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/298

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vivrait. Instruite par cet exemple, Béatrice ne voulait rien préjuger tant que Pippo ne se serait pas astreint à un travail régulier, et elle se disait que l’amour de la gloire est une noble convoitise qui doit être aussi forte que l’avarice.

En pensant ainsi, elle ne se trompait pas ; mais la difficulté consistait en ceci, que, pour donner à Pippo une bonne habitude, il fallait lui en ôter une mauvaise. Or il y a de mauvaises herbes qui s’arrachent sans beaucoup d’efforts, mais le jeu n’est pas de celles-là ; peut-être même est-ce la seule passion qui puisse résister à l’amour, car on a vu des ambitieux, des libertins et des dévots céder à la volonté d’une femme, mais bien rarement des joueurs, et la raison en est facile à dire. De même que le métal monnayé représente presque toutes les jouissances, le jeu résume presque toutes les émotions ; chaque carte, chaque coup de dé entraîne la perte ou la possession d’un certain nombre de pièces d’or ou d’argent, et chacune de ces pièces est le signe d’une jouissance indéterminée. Celui qui gagne sent donc une multitude de désirs, et non seulement il s’y livre en liberté, mais il cherche à s’en créer de nouveaux, ayant la certitude de les satisfaire. De là le désespoir de celui qui perd, et qui se trouve tout à coup dans l’impossibilité d’agir, après avoir manié des sommes énormes. De telles épreuves, répétées souvent, épuisent et exaltent à la fois l’esprit, le jettent dans une sorte de vertige, et les sensations ordinaires sont trop