Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/297

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à propos le secret des cheveux de Samson. Tout en respectant les noms consacrés, Béatrice avait soin de faire de temps en temps l’éloge de quelque peintre médiocre. Il ne lui était pas facile de se contredire ainsi elle-même, mais elle donnait à ces faux éloges, avec beaucoup d’habileté, un air de vraisemblance. Par ce moyen, elle parvenait souvent à exciter la mauvaise humeur de Pippo, et elle avait remarqué que, dans ces moments, il se mettait à l’ouvrage avec une vivacité extraordinaire. Il avait alors la hardiesse d’un maître, et l’impatience l’inspirait. Mais son caractère frivole reprenait bientôt le dessus, il jetait tout à coup son pinceau. — Allons boire un verre de vin de Chypre, disait-il, et ne parlons plus de ces sottises.

Un esprit aussi inconstant eût peut-être découragé une autre que Béatrice ; mais, puisque nous trouvons dans l’histoire le récit des haines les plus tenaces, il ne faut pas s’étonner que l’amour puisse donner de la persévérance. Béatrice était persuadée d’une chose vraie, c’est que l’habitude peut tout ; et voici d’où lui venait cette conviction. Elle avait vu son père, homme extrêmement riche et d’une faible santé, se livrer, dans sa vieillesse, aux plus grandes fatigues, aux calculs les plus arides, pour augmenter de quelques sequins son immense fortune. Elle l’avait souvent supplié de se ménager, mais il avait constamment fait la même réponse : que c’était une habitude prise dès l’enfance, qui lui était devenue nécessaire, et qu’il conserverait tant qu’il