Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/301

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ment. — Commençons par faire ton portrait, répétait-il. Puis il savait s’y prendre de façon à la faire parler d’autre chose.

On peut juger si elle avait hâte de voir ce portrait terminé. Au bout de six semaines, il le fut enfin. Lorsqu’elle posa pour la dernière séance, Béatrice était si joyeuse, qu’elle ne pouvait rester en place ; elle allait et venait du tableau à son fauteuil, et elle se récriait à la fois d’admiration et de plaisir. Pippo travaillait lentement et secouait la tête de temps en temps ; il fronça tout à coup le sourcil, et passa brusquement sur sa toile le linge qui lui servait à essuyer ses pinceaux. Béatrice courut à lui aussitôt, et elle vit qu’il avait effacé la bouche et les yeux. Elle en fut tellement consternée, qu’elle ne put retenir ses larmes ; mais Pippo remit tranquillement ses couleurs dans sa boîte. — Le regard et le sourire, dit-il, sont deux choses difficiles à rendre ; il faut être inspiré pour oser les peindre. Je ne me sens pas la main assez sûre ; et je ne sais même pas si je l’aurai jamais.

Le portrait resta donc ainsi défiguré, et toutes les fois que Béatrice regardait cette tête sans bouche et sans yeux, elle sentait redoubler son inquiétude.