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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/308

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dauds de Venise le croyaient héritier du génie du grand peintre, et s’extasiaient devant ses fresques. Pippo ne s’était jamais guère inquiété de cette supercherie ridicule ; mais, en ce moment, soit qu’il lui fût désagréable de se trouver vis-à-vis de ce personnage, soit qu’il pensât à sa propre valeur plus sérieusement que d’ordinaire, il s’approcha de l’échafaud qui était soutenu par de petites poutres mal étayées : il donna un coup de pied sur une de ces poutres et la fit tomber. Fort heureusement l’échafaud ne tomba pas en même temps ; mais il vacilla de telle sorte que le soi-disant Tizianello chancela d’abord comme s’il eût été ivre, puis acheva de perdre l’équilibre au milieu de ses couleurs dont il fut bariolé de la plus étrange façon.

On peut juger, lorsqu’il se releva, de la colère où il était. Il descendit aussitôt de son échafaud, et s’avança vers Pippo en lui adressant des injures. Un prêtre se jeta entre eux pour les séparer au moment où ils allaient tirer l’épée dans le saint lieu ; les dévotes s’enfuirent épouvantées avec de grands signes de croix, tandis que les curieux s’empressèrent d’accourir. Tito criait à haute voix qu’un homme avait voulu l’assassiner, et qu’il demandait justice de ce crime ; la poutre renversée en témoignait. Les assistants commencèrent à murmurer, et l’un d’eux, plus hardi que les autres, voulut prendre Pippo au collet. Pippo, qui n’avait agi que par étourderie, et qui regardait cette scène en riant, se voyant sur le point d’être traîné en prison et s’enten-