Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/321

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nête. Ce fut pour madame Doradour un second sujet de chagrin. Elle voulut faire un nouveau choix ; elle eut recours à tout le voisinage, s’adressa même aux Petites Affiches, et ne fut pas plus heureuse.

Le découragement la prit ; on vit alors cette bonne dame s’appuyer sur une canne et se rendre seule à l’église ; elle avait résolu, disait-elle, d’achever ses jours sans l’aide de personne, et elle s’efforçait en public de porter gaiement sa tristesse et ses années ; mais ses jambes tremblaient en montant l’escalier, car elle avait soixante-quinze ans ; on la trouvait le soir auprès du feu, les mains jointes et la tête basse ; elle ne pouvait supporter la solitude ; sa santé, déjà faible, s’altéra bientôt ; elle tombait peu à peu dans la mélancolie.

Elle avait un fils unique nommé Gaston, qui avait embrassé de bonne heure la carrière des armes, et qui en ce moment était en garnison. Elle lui écrivit pour lui conter sa peine et pour le prier de venir à son secours dans l’ennui où elle se trouvait. Gaston aimait tendrement sa mère : il demanda un congé et l’obtint ; mais le lieu de sa garnison était, par malheur, la ville de Strasbourg, où se trouvent, comme on sait, en grande abondance les plus jolies grisettes de France. On ne voit que là de ces brunes allemandes, pleines à la fois de la langueur germanique et de la vivacité française. Gaston était dans les bonnes grâces de deux jolies marchandes de tabac, qui ne voulurent pas le laisser s’en aller ; il tenta vainement de les persuader, il alla même jusqu’à