Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/322

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leur montrer la lettre de sa mère ; elles lui donnèrent tant de mauvaises raisons, qu’il s’en laissa convaincre, et retarda de jour en jour son départ.

Madame Doradour, pendant ce temps-là, tomba sérieusement malade. Elle était née si gaie, et le chagrin lui était si peu naturel, qu’il ne pouvait être pour elle qu’une maladie. Les médecins n’y savaient que faire. — Laissez-moi, disait-elle ; je veux mourir seule. Puisque tout ce que j’aimais m’a abandonnée, pourquoi tiendrais-je à un reste de vie auquel personne ne s’intéresse ?

La plus profonde tristesse régnait dans la maison, et en même temps le plus grand désordre. Les domestiques, voyant leur maîtresse moribonde, et sachant son testament fait, commençaient à la négliger. L’appartement, jadis si bien entretenu, les meubles si bien rangés étaient couverts de poussière. — Ô ma chère Ursule ! s’écriait madame Doradour, ma toute bonne, où êtes-vous ? Vous me chasseriez ces marauds-là !

Un jour qu’elle était au plus mal, on la vit avec étonnement se redresser tout à coup sur son séant, écarter ses rideaux et mettre ses lunettes. Elle tenait à la main une lettre qu’on venait de lui apporter et qu’elle déplia avec grand soin. Au haut de la feuille était une belle vignette représentant le temple de l’Amitié avec un autel au milieu et deux cœurs enflammés sur l’autel. La lettre était écrite en grosse bâtarde, les mots parfaitement alignés, avec de grands traits de plume aux queues des