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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/324

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II


Le bonhomme Piédeleu était Beauceron, c’est-à-dire natif de la Beauce, où il avait passé sa vie et où il comptait bien mourir. C’était un vieux et honnête fermier de la terre de la Honville, près de Chartres, terre qui appartenait à madame Doradour. Il n’avait vu de ses jours ni une forêt ni une montagne, car il n’avait jamais quitté sa ferme que pour aller à la ville ou aux environs, et la Beauce, comme on sait, n’est qu’une plaine. Il avait vu, il est vrai, une rivière, l’Eure, qui coulait près de sa maison. Pour ce qui est de la mer, il y croyait comme au paradis, c’est-à-dire qu’il pensait qu’il fallait y aller voir ; aussi ne trouvait-il en ce monde que trois choses dignes d’admiration, le clocher de Chartres, une belle fille et un beau champ de blé. Son érudition se bornait à savoir qu’il fait chaud en été, froid en hiver, et le prix des grains au dernier marché. Mais quand, par le soleil de midi, à l’heure où les laboureurs se reposent, le bonhomme sortait de la basse-cour pour dire bonjour à ses moissons, il faisait bon voir sa haute taille et ses larges épaules se dessiner sur l’horizon. Il semblait alors que les blés se tinssent plus