Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/325

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droits et plus fiers que de coutume, que le soc des charrues fût plus étincelant. À sa vue, ses garçons de ferme, couchés à l’ombre et en train de dîner, se découvraient respectueusement tout en avalant leurs belles tranches de pain et de fromage. Les bœufs ruminaient en bonne contenance, les chevaux se redressaient sous la main du maître qui frappait leur croupe rebondie. — Notre pays est le grenier de la France, disait quelquefois le bonhomme ; puis il penchait la tête en marchant, regardait ses sillons bien alignés, et se perdait dans cette contemplation.

Madame Piédeleu, sa femme, lui avait donné neuf enfants, dont huit garçons, et, si tous les huit n’avaient pas six pieds de haut, il ne s’en fallait guère. Il est vrai que c’était la taille du bonhomme, et la mère avait ses cinq pieds cinq pouces ; c’était la plus belle femme du pays. Les huit garçons, forts comme des taureaux, terreur et admiration du village, obéissaient en esclaves à leur père. Ils étaient, pour ainsi dire, les premiers et les plus zélés de ses domestiques, faisant tour à tour le métier de charretiers, de laboureurs, de batteurs en grange. C’était un beau spectacle que ces huit gaillards, soit qu’on les vît, les manches retroussées, la fourche au poing, dresser une meule, soit qu’on les rencontrât le dimanche allant à la messe bras dessus bras dessous, leur père marchant à leur tête ; soit enfin que le soir, après le travail, on les vît, assis autour de la longue table de la cuisine, deviser en mangeant la soupe et