Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/330

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parmi les plus beaux garçons du pays pour devenir une riche fermière. Les fils Piédeleu, pour la première fois de leur vie, ne pouvaient réussir à se mettre d’accord ; ils se querellaient toute la journée, les uns consentant, les autres refusant ; enfin, c’était un désordre et un chagrin inouïs dans la maison. Mais le bonhomme se souvenait que, dans une mauvaise année, madame Doradour, au lieu de lui demander son terme, lui avait envoyé un sac d’écus ; il imposa silence à tout le monde, et décida que sa fille partirait.

Le jour du départ arrivé, on mit un cheval à la carriole, afin de mener Margot à Chartres, où elle devait prendre la diligence. Personne n’alla aux champs ce jour-là ; presque tout le village se rassembla dans la cour de la ferme. On avait fait à Margot un trousseau complet ; le dedans, le derrière et le dessus de la carriole étaient encombrés de boîtes et de cartons : les Piédeleu n’entendaient pas que leur fille fît mauvaise figure à Paris. Margot avait fait ses adieux à tout le monde, et allait embrasser son père, lorsque le curé la prit par la main et lui fit une allocution paternelle sur son voyage, sur la vie future et sur les dangers qu’elle allait courir. — Conservez votre sagesse, jeune fille, s’écria le digne homme en terminant, c’est le plus précieux des trésors ; veillez sur lui, Dieu fera le reste.

Le bonhomme Piédeleu était ému jusqu’aux larmes, quoiqu’il n’eût pas tout compris clairement dans le dis-