Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/331

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cours du curé. Il serra sa fille sur son cœur, l’embrassa, la quitta, revint à elle et l’embrassa encore ; il voulait parler, et son trouble l’en empêchait. — Retiens bien les conseils de M. le curé, dit-il enfin d’une voix altérée ; retiens-les bien ; ma pauvre enfant… Puis il ajouta brusquement : Mille pipes de diables ! n’y manque pas.

Le curé, qui étendait les mains pour donner à Margot sa bénédiction, s’arrêta court à ce gros mot. C’était pour vaincre son émotion que le bonhomme avait juré ; il tourna le dos au curé et rentra chez lui sans en dire davantage.

Margot grimpa dans la carriole, et le cheval allait partir, lorsqu’on entendit un si gros sanglot que tout le monde se retourna. On aperçut alors un petit garçon de quatorze ans à peu près, auquel on n’avait pas fait attention. Il s’appelait Pierrot, et son métier n’était pas bien noble, car il était gardeur de dindons ; mais il aimait passionnément Margot, non pas d’amour, mais d’amitié. Margot aimait aussi ce pauvre petit diable ; elle lui avait donné maintes fois une poignée de cerises ou une grappe de raisin pour accompagner son pain sec. Comme il ne manquait pas d’intelligence, elle se plaisait à le faire causer et à lui apprendre le peu qu’elle savait, et comme ils étaient tous deux presque du même âge, il était souvent arrivé que, la leçon finie, la maîtresse et l’écolier avaient joué ensemble à cligne-musette. En ce moment, Pierrot portait une paire de