Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/339

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IV


Il y a sous le soleil une chose fâcheuse pour tout le monde, et particulièrement pour les petites filles : c’est que la sagesse est un travail, et que, pour être seulement raisonnable, il faut se donner beaucoup de mal, tandis que, pour faire des sottises, il n’y a qu’à se laisser aller. Homère nous apprend que Sisyphe était le plus sage des mortels ; cependant les poètes le condamnent unanimement à rouler une grosse roche au haut d’une montagne, d’où elle retombe aussitôt sur ce pauvre homme, qui recommence à la rouler. Les commentateurs se sont épuisés à chercher la raison de ce supplice ; quant à moi, je ne doute pas que, par cette belle allégorie, les anciens n’aient voulu représenter la sagesse. La sagesse est, en effet, une grosse pierre que nous roulons sans désemparer, et qui nous retombe sans cesse sur la tête. Notez que, le jour où elle nous échappe, il ne nous est tenu aucun compte de l’avoir roulée pendant nombre d’années, tandis qu’au contraire, si un fou vient à faire, par hasard, une action raisonnable, on lui en sait un gré infini. La folie est bien loin d’être une pierre ; c’est une bulle de savon qui s’en va dansant