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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/342

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et une veste bleu de ciel avec des tresses noires. Margot possédait, il est vrai, une robe de chambre de flanelle écarlate ; mais que répondre à la veste bleue ? Elle prétendit avoir mal à l’oreille, et elle se fit, pour le matin, une petite toque de velours bleu. Ayant aperçu au chevet de Gaston le portrait de Napoléon, elle voulut avoir celui de Joséphine. Enfin, Gaston ayant dit un jour, à déjeuner, qu’il aimait assez une bonne omelette, Margot vainquit sa timidité et fit un acte de courage ; elle déclara que personne au monde ne savait faire les omelettes comme elle, que chez ses parents elle les faisait toujours, et qu’elle suppliait sa marraine d’en goûter une de sa main.

Ainsi tâchait la pauvre enfant de témoigner son modeste amour ; mais Gaston n’y prenait pas garde. Comment un jeune homme hardi, fier, habitué aux plaisirs bruyants et à la vie de garnison, aurait-il remarqué ce manège enfantin ? Les grisettes de Strasbourg s’y prennent d’autre manière lorsqu’elles ont un caprice en tête. Gaston dînait avec sa mère, puis sortait pour toute la soirée ; et, comme Margot ne pouvait dormir qu’il ne fût rentré, elle l’attendait derrière son rideau. Il arriva bien quelquefois que le jeune homme, voyant de la lumière chez elle, se dit en traversant la cour : — Pourquoi cette petite fille n’est-elle pas couchée ? Il arriva encore qu’en faisant sa toilette, il jeta sur Margot un coup d’œil distrait qui la pénétrait jusqu’à l’âme ; mais elle détournait la tête aussitôt, et elle serait plutôt morte