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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/343

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que d’oser soutenir ce regard. Il faut dire aussi qu’au salon elle ne se montrait plus la même. Assise auprès de sa marraine, elle s’étudiait à paraître grave, réservée, et à écouter décemment le babillage de madame Doradour. Quand Gaston lui adressait la parole, elle lui répondait de son mieux, mais, ce qui semblera singulier, elle lui répondait presque sans émotion. Expliquera qui pourra ce qui se passe dans une cervelle de quinze ans ; l’amour de Margot était, pour ainsi dire, enfermé dans sa chambre, elle le trouvait dès qu’elle y entrait, et elle l’y laissait en sortant ; mais elle ôtait la clef de sa porte, pour que personne ne pût, en son absence, profaner son petit sanctuaire.

Il est facile, du reste, de supposer que la présence de madame Doradour devait la rendre circonspecte et l’obliger à réfléchir, car cette présence lui rappelait sans cesse la distance qui la séparait de Gaston. Une autre que Margot s’en serait peut-être désespérée ou plutôt se serait guérie, voyant le danger de sa passion ; mais Margot ne s’était jamais demandé, même dans le plus profond de son cœur, à quoi lui servirait son amour ; et, en effet, y a-t-il une question plus vide de sens que celle-là, qu’on adresse continuellement aux amoureux : À quoi cela vous mènera-t-il ? — Eh ! bonnes gens, cela me mène à aimer.

Dès que Margot s’éveillait, elle sautait à bas de son lit, et elle courait pieds nus, en cornette, écarter le coin de son rideau pour voir si Gaston avait ouvert ses jalou-