Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/351

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donner ; elle fut d’abord près de se trouver mal. On la vit joindre les mains et prier tout bas : que n’eût-elle pas donné pour avoir la permission d’essuyer le sang qui coulait sur la main du jeune homme ! Elle mit dans sa poche son plus beau mouchoir, le seul en sa possession qui fût brodé, et elle attendait impatiemment quelque occasion de le tirer à l’improviste pour que Gaston en pût envelopper un instant sa main ; mais elle n’eut pas même cette consolation. Le cruel garçon étant à souper, et quelques gouttes de sang coulant de sa blessure, il refusa le mouchoir de Margot et roula sa serviette autour de son poignet. Margot en sentit un tel déplaisir, que ses yeux se remplirent de larmes.

Elle ne pouvait penser cependant que Gaston méprisât son amour ; mais il l’ignorait : que faire à cela ? Tantôt Margot se résignait, et tantôt elle s’impatientait. Les événements les plus indifférents devenaient tour à tour pour elle des motifs de joie ou de chagrin. Un mot obligeant, un regard de Gaston, la rendaient heureuse une journée entière ; s’il traversait le salon sans prendre garde à elle, s’il se retirait le soir sans lui adresser un léger salut qu’il avait coutume de lui faire, elle passait la nuit à chercher en quoi elle avait pu lui déplaire. S’il s’asseyait près d’elle par hasard, et s’il lui faisait un compliment sur sa tapisserie, elle rayonnait d’aise et de reconnaissance ; s’il refusait, à dîner, de manger d’un plat qu’elle lui offrait, elle s’imaginait qu’il ne l’aimait plus.