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IX


Dix ans s’étaient passés. Les victorieux désastres de 1814 couvraient la France de soldats. Enveloppé par l’Europe entière, l’Empereur finissait comme il avait commencé, et retrouvait en vain, au terme de sa carrière, les inspirations des campagnes d’Italie. Les divisions russes, en marche sur Paris par les rives de la Seine, venaient d’être mises en déroute au combat de Nangis, où dix mille étrangers avaient succombé ; un officier, gravement blessé, avait quitté le corps d’armée commandé par le général Gérard, et gagnait, par Étampes, la route de la Beauce. Il pouvait à peine se tenir à cheval ; épuisé de fatigue, il frappa un soir à la porte d’une ferme de belle apparence, où il demanda un gîte pour la nuit. Après lui avoir donné un bon souper, le fermier, qui n’avait pas plus de vingt-cinq ans, lui amena sa femme, jeune et jolie campagnarde à peu près du même âge et déjà mère de cinq enfants. En la voyant entrer, l’officier ne put retenir un cri de surprise, et la belle fermière le salua d’un sourire. — Ne me trompé-je pas ? dit l’officier ; n’avez-