Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/386

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vous pas été demoiselle de compagnie auprès de madame Doradour, et ne vous appelez-vous pas Marguerite ?

— À votre service, répondit la fermière, et c’est au colonel comte Gaston de la Honville que j’ai l’honneur de parler, si j’ai bonne mémoire. Voici Pierre Blanchard, mon mari, à qui je dois d’être encore au monde ; embrassez mes enfants, monsieur le comte : c’est tout ce qui reste d’une famille qui a longtemps et fidèlement servi la vôtre.

— Est-ce possible ? répondit l’officier ; que sont donc devenus vos frères ?

— Ils sont restés à Champaubert et à Montmirail, dit la fermière d’une voix émue, et, depuis six ans, notre père les attendait.

— Et moi aussi, poursuivit l’officier, j’ai perdu ma mère, et, par cette seule mort, j’ai perdu autant que vous. À ces mots, il essuya une larme.

— Allons, Pierrot, ajouta-t-il gaiement en s’adressant au mari et en lui tendant son verre, buvons à la mémoire des morts, mon ami, et à la santé de tes enfants ! Il y a de rudes moments dans la vie ; le tout est de savoir les passer.

Le lendemain, en quittant la ferme, l’officier remercia ses hôtes, et, au moment de remonter à cheval, il ne put s’empêcher de dire à la fermière :

— Et vos amours d’autrefois, Margot, vous en souvient-il ?