Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

maient. Quand M. de Marsan rentra de la promenade, un nuage passa sur le front de Gilbert ; il se dit qu’il avait bien mal profité de son premier tête-à-tête. Mais il en fut tout autrement d’Emmeline ; le respect de Gilbert l’avait émue, elle tomba dans la plus dangereuse rêverie ; elle avait compris qu’elle était aimée, et de l’instant qu’elle se crut en sûreté, elle aima.

Lorsqu’elle descendit, le jour suivant, au déjeuner, les belles couleurs de la jeunesse avaient reparu sur ses joues ; son visage, aussi bien que son cœur, avait rajeuni de dix ans. Elle voulut sortir à cheval, malgré un temps affreux ; elle montait une superbe jument qu’il n’était pas facile de faire obéir, et il semblait qu’elle voulût exposer sa vie ; elle balançait, en riant, sa cravache au-dessus de la tête de l’animal inquiet, et elle ne put résister au singulier plaisir de le frapper sans qu’il l’eût mérité ; elle le sentit bondir de colère, et, tandis qu’il secouait l’écume dont il était couvert, elle regarda Gilbert. Par un mouvement rapide, le jeune homme s’était approché, et voulait saisir la bride du cheval. — Laissez, laissez, dit-elle en riant, je ne tomberai pas ce matin.

Il fallait pourtant bien parler de ces stances, et ils s’en parlaient en effet beaucoup tous deux, mais des yeux seulement ; ce langage en vaut bien un autre. Gilbert passa trois jours au Moulin de May, sur le point de tomber à genoux à chaque instant. Quand il regardait la taille d’Emmeline, il tremblait de ne pouvoir résister