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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/41

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à la tentation de l’entourer de ses bras ; mais, dès qu’elle faisait un pas, il se rangeait pour la laisser passer, comme s’il eût craint de toucher sa robe. Le troisième jour au soir, il avait annoncé son départ pour le lendemain matin ; il fut question de valse en prenant le thé, et de l’ode de Byron sur la valse. Emmeline remarqua que, pour parler avec tant d’animosité, il fallait que le plaisir eût excité bien vivement l’envie du poète qui ne pouvait le partager ; elle fut chercher le livre à l’appui de son dire, et, pour que Gilbert pût lire avec elle, elle se plaça si près de lui, que ses cheveux lui effleurèrent la joue. Ce léger contact causa au jeune homme un frisson de plaisir auquel il n’eût pas résisté si M. de Marsan n’eût été là. Emmeline s’en aperçut et rougit : on ferma le livre, et ce fut tout l’événement du voyage.

Voilà, n’est-il pas vrai, madame, un amoureux assez bizarre ? Il y a un proverbe qui prétend que ce qui est différé n’est pas perdu. J’aime peu les proverbes en général, parce que ce sont des selles à tous chevaux ; il n’en est pas un qui n’ait son contraire, et, quelque conduite que l’on tienne, on en trouve un pour s’appuyer. Mais je confesse que celui que je cite me paraît faux cent fois dans l’application, pour une fois qu’il se trouvera juste, tout au plus à l’usage de ces gens aussi patients que résignés, aussi résignés qu’indifférents. Qu’on tienne ce langage en paradis, que les saints se disent entre eux que ce qui est différé n’est pas perdu, c’est à merveille ; il sied à des gens qui ont devant eux l’éter-