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VII


Emmeline avait mis cinq ans à s’apercevoir que son premier choix ne pouvait la rendre heureuse ; elle en avait souffert pendant un an ; elle avait lutté six mois contre une passion naissante, deux mois contre un amour avoué ; elle avait enfin succombé, et son bonheur dura quinze jours.

Quinze jours, c’est bien court, n’est-ce pas ? J’ai commencé ce conte sans y réfléchir, et je vois qu’arrivé au moment dont la pensée m’a fait prendre la plume, je n’ai rien à en dire, sinon qu’il fut bien court. Comment tenterai-je de vous le peindre ? Vous raconterai-je ce qui est inexprimable et ce que les plus grands génies de la terre ont laissé deviner dans leurs ouvrages, faute d’une parole qui pût le rendre ? Certes, vous ne vous y attendez pas, et je ne commettrai pas ce sacrilège. Ce qui vient du cœur peut s’écrire, mais non ce qui est le cœur lui-même.

D’ailleurs, en quinze jours, si on est heureux, a-t-on le temps de s’en apercevoir ? Emmeline et Gilbert étaient encore étonnés de leur bonheur ; ils n’osaient y croire, et s’émerveillaient de la vive tendresse dont