Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/64

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un mensonge. Il se jura cependant d’obéir à tout prix, et de sacrifier son existence, s’il le fallait, au repos de madame de Marsan. Il mit ses affaires en ordre, dit adieu à ses amis, annonça à tout le monde qu’il allait en Italie. Puis, quand tout fut prêt, et qu’il eut son passeport, il resta enfermé chez lui, se promettant, chaque soir, de partir le lendemain, et passant la journée à pleurer.

Emmeline, de son côté, n’était guère plus courageuse, comme vous pouvez penser. Dès qu’elle put supporter la voiture, elle alla au Moulin de May. M. de Marsan ne la quittait pas ; il eut pour elle, pendant sa maladie, l’amitié d’un frère et les soins d’une mère. Je n’ai pas besoin de dire qu’il avait pardonné, et que la vue des souffrances de sa femme l’avait fait renoncer à ses projets de séparation. Il ne parla plus de Gilbert, et je ne crois pas que, depuis cette époque, il ait prononcé ce nom étant seul avec la comtesse. Il apprit le voyage annoncé, et n’en parut ni joyeux ni triste. On devinait aisément à sa conduite qu’il se reconnaissait, au fond du cœur, coupable d’avoir négligé sa femme, et d’avoir si peu fait pour son bonheur. Lorsque, appuyée à son bras, Emmeline se promenait lentement avec lui dans la longue allée des Soupirs, il paraissait presque aussi triste qu’elle ; et Emmeline lui sut gré de ce qu’il ne tenta jamais de rappeler l’ancien amour, ni de combattre l’amour nouveau.

Elle brûla les lettres de Gilbert, et, dans ce sacrifice