Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/65

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douloureux, ne respecta qu’une seule ligne écrite de la main de son amant : « Pour vous, tout au monde. » En relisant ces mots, elle ne put se résoudre à les anéantir ; c’était l’adieu du pauvre garçon. Elle coupa cette ligne avec ses ciseaux, et la porta longtemps sur son cœur. « S’il faut jamais me séparer de ces mots-là, écrivait-elle à Gilbert, je les avalerai. Maintenant ma vie n’est plus qu’une pincée de cendre, et je ne pourrai de longtemps regarder ma cheminée sans pleurer. »

Était-elle sincère ? demanderez-vous peut-être. Ne fit-elle aucune tentative pour revoir son amant ? Ne se repentait-elle pas de son sacrifice ? N’essaya-t-elle jamais de revenir sur sa résolution ? Oui, madame, elle l’essaya ; je ne veux la faire ni meilleure ni plus brave qu’elle ne l’a été. Oui, elle essaya de mentir, de tromper son mari ; en dépit de ses serments, de ses promesses, de ses douleurs et de ses remords, elle revit Gilbert ; et, après avoir passé deux heures avec lui dans un délire de joie et d’amour, elle sentit, en rentrant chez elle, qu’elle ne pouvait ni tromper ni mentir ; je vous dirai plus, Gilbert le sentit lui-même, et ne lui demanda pas de revenir.

Cependant il ne partait pas encore, et ne parlait plus de voyage. Au bout de quelques jours, il voulait déjà se persuader qu’il était plus calme, et qu’il n’y avait aucun danger à rester. Il tâchait, dans ses lettres, de faire consentir Emmeline à ce qu’il passât l’hiver à