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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/83

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double existence se développait en lui. Si son esprit avide l’entraînait, son cœur le retenait au logis. S’enfermait-il, décidé au repos, un orgue de Barbarie, jouant une valse, passait sous la fenêtre et dérangeait tout. Sortait-il alors, et, selon sa coutume, courait-il après le plaisir, un mendiant rencontré en route, un mot touchant trouvé par hasard dans le fatras d’un drame à la mode, le rendaient pensif, et il retournait chez lui. Prenait-il la plume, et s’asseyait-il pour travailler, sa plume distraite esquissait sur les marges d’un dossier la silhouette d’une jolie femme qu’il avait rencontrée au bal. Une bande joyeuse, réunie chez un ami, l’invitait-elle à rester à souper, il tendait son verre en riant, et buvait une copieuse rasade ; puis il fouillait dans sa poche, voyait qu’il avait oublié sa clef, qu’il réveillerait sa mère en rentrant ; il s’esquivait et revenait respirer ses roses bien-aimées.

Tel était ce garçon, simple et écervelé, timide et fier, tendre et audacieux. La nature l’avait fait riche, et le hasard l’avait fait pauvre ; au lieu de choisir, il prit les deux partis. Tout ce qu’il y avait en lui de patience, de réflexion et de résignation ne pouvait triompher de l’amour du plaisir, et ses plus grands moments de déraison ne pouvaient entamer son cœur. Il ne lutta ni contre son cœur, ni contre le plaisir qui l’attirait. Ce fut ainsi qu’il devint double, et qu’il vécut en perpétuelle contradiction avec lui-même, comme je vous le montrais tout à l’heure. Mais c’est de la faiblesse, allez-vous dire. Eh !