Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/82

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prouve en silence, et rend la vie douce et légère ? J’en veux citer un exemple en passant.

Un jour que l’étourdi garçon avait vidé sa bourse au jeu, il venait de rentrer de mauvaise humeur. Les coudes sur sa table, la tête dans ses mains, il se livrait à ses idées sombres. Sa mère entra, tenant un gros bouquet de roses dans un verre d’eau, qu’elle posa doucement sur la table, à côté de lui. Il leva les yeux pour la remercier, et elle lui dit en souriant : Il y en a pour quatre sous. Ce n’était pas cher, comme vous voyez ; cependant le bouquet était superbe. Valentin, resté seul, sentit le parfum frapper son cerveau excité. Je ne saurais vous dire quelle impression produisit sur lui une si douce jouissance, si facilement venue, si inopinément apportée ; il pensa à la somme qu’il avait perdue, il se demanda ce qu’en aurait pu faire la main maternelle qui le consolait à si bon marché. Son cœur gonflé se fondit en larmes, et il se souvint des plaisirs du pauvre qu’il venait d’oublier.

Ces plaisirs du pauvre lui devinrent chers, à mesure qu’il les connut mieux. Il les aima parce qu’il aimait sa mère ; il regarda peu à peu autour de lui, et ayant un peu essayé de tout, il se trouva capable de tout sentir. Est-ce un avantage ? Je n’en puis rien dire encore. Chance de jouissance, chance de souffrance.

J’aurai l’air de faire une plaisanterie si je vous dis qu’en avançant dans la vie, Valentin devint à la fois plus sage et plus fou ; c’est pourtant la vérité pure. Une