Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/136

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heur, qu’il ne se sentait pas la force de supporter.

L’oncle Giraud n’en pensait pas si long. Il ne songeait qu’à égayer sa nièce et à lui rendre la vie agréable. Malheureusement ce n’était pas facile. Camille s’était laissé emmener sans résistance, mais elle ne voulait prendre part à aucun des plaisirs que le bonhomme tâchait de lui proposer. Ni promenades, ni fêtes, ni spectacles, ne pouvaient la tenter ; pour toute réponse, elle montrait sa robe noire.

Le vieux maître maçon était obstiné. Il avait loué, comme on l’a vu, un appartement garni dans une auberge des Messageries, la première qu’un commissionnaire de la rue lui avait indiquée, ne comptant y rester qu’un mois ou deux. Il y était avec Camille depuis près d’un an. Pendant un an, Camille s’était refusée à toutes ses propositions de partie de plaisir, et, comme il était en même temps aussi bon et aussi patient qu’entêté, il attendait depuis un an sans se plaindre. Il aimait cette pauvre fille de toute son âme, sans qu’il en sût lui-même la cause, par un de ces charmes inexplicables qui attachent la bonté au malheur.

— Mais enfin, je ne sais pas, disait-il, tout en achevant sa bouteille, ce qui peut t’empêcher de venir à l’Opéra avec moi. Cela coûte fort cher ; j’ai le billet dans ma poche ; voilà ton deuil fini d’hier ; tu as là deux robes neuves ; d’ailleurs tu n’as qu’à mettre ton capuchon, et…

Il s’interrompit. — Diable ! dit-il, tu n’entends