Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’est raisonnable. Vous voyez que, depuis seize ans que vous avez cette petite-là, vous ne vous en êtes jamais bien consolé. Comment voulez-vous qu’un homme fait comme tout le monde s’en arrange, si vous, qui êtes son père, vous ne pouvez pas en prendre votre parti ?

Tandis que l’oncle parlait, le chevalier jetait de temps en temps un regard du côté du tombeau de sa femme, et semblait réfléchir profondément.

— Rendre à ma fille l’usage de la pensée ! dit-il après un long silence ; Dieu le permettrait-il ? est-ce possible ?

En ce moment, le curé d’un village voisin entrait dans le jardin, venant dîner au château. Le chevalier le salua d’un air distrait, puis, sortant tout à coup de sa rêverie :

— L’abbé, lui demanda-t-il, vous savez quelquefois les nouvelles, et vous recevez les papiers. Avez-vous entendu parler d’un prêtre qui a entrepris l’éducation des sourds-muets ?

Malheureusement, le personnage auquel cette question s’adressait était un véritable curé de campagne de ce temps-là, homme simple et bon, mais fort ignorant, et partageant tous les préjugés d’un siècle où il y en avait tant, et de si funestes.

— Je ne sais ce que monseigneur veut dire, répondit-il (traitant le chevalier en seigneur de village), à moins qu’il ne soit question de l’abbé de l’Épée.

— Précisément, dit l’oncle Giraud. C’est le nom qu’on m’a dit ; je ne m’en souvenais plus.