Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/176

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quelqu’un cite une anecdote, ou parle d’une curiosité, il a vu quelque chose de bien mieux ; mais il ne daigne pas dire quoi, et se contente de hocher la tête avec une modestie à le souffleter. L’assommante créature ! je ne sais pas, en vérité, s’il est possible de causer un quart d’heure durant avec madame de Vernage, quand il est là, sans que sa tête inquiète et effarouchée vienne se placer entre elle et vous. Il n’est certes pas beau, il n’a pas d’esprit ; les trois quarts du temps il ne dit mot, et par une faveur spéciale de la Providence, il trouve moyen, en se taisant, d’être plus ennuyeux qu’un bavard, rien que par la façon dont il regarde parler les autres. Mais que lui importe ? Il ne vit pas, il assiste à la vie, et tâche de gêner, de décourager et d’impatienter les vivants. Avec tout cela, la marquise le supporte ; elle a la charité de l’écouter, de l’encourager ; je crois, ma foi, qu’elle l’aime et qu’elle ne s’en débarrassera jamais.

— Qu’entends-tu par là ? demanda Tristan, un peu troublé à ce dernier mot. Crois-tu qu’on puisse aimer un personnage semblable ?

— Non pas d’amour, reprit Armand avec un air d’indifférence railleuse. Mais enfin ce pauvre homme n’est pas non plus un monstre. Il est garçon et fort à l’aise. Il a, comme nous, un petit castel, une petite meute, et un grand vieux carrosse. Il possède sur tout autre, près de la marquise, cet incomparable avantage que donnent une habitude de dix ans et une obsession